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[A la une] Pour une Justice humainement augmentéeLecture: 4 minN0779BYI Citer l'article
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par Matthieu Boissavy, Avocat aux barreaux de Paris et de New York, Membre du Conseil de l’Ordre
le 17 Octobre 2019
La progression constante de l’usage de l’intelligence artificielle dans les modes juridictionnels de résolution des litiges conduit les juristes à parler aujourd’hui d’avocat, de juge ou d’arbitre «augmenté». Par cette expression il est signifié que leur analyse et leur capacité de décision sont augmentées par l’intelligence artificielle, le traitement des données juridiques par des algorithmes et les nouvelles technologies ; comme peut être «augmentée» notre perception de la réalité par l’impression dans nos sens d’objets numériques virtuels se confondant aux objets physiques.
Parallèlement à leur nécessaire formation à ces nouvelles technologies, les gens de Justice ont tout intérêt à se former également aux outils de l’intelligence émotionnelle. «L’augmentation» du juriste passe davantage par le souci du maintien de relations humaines de qualité, que par la maîtrise des nouvelles technologies dans le domaine du droit et de la Justice.
Il est indéniable que les réformes procédurales récentes, tant au civil qu’au pénal, entérinent et accroissent le développement des modes dématérialisés de résolutions des litiges, par exemple, le recours aux modes de résolution en ligne et les audiences par vidéo-conférence. Certes, le Conseil constitutionnel a rappelé dans deux décisions cette année, l’une du 21 mars 2019 et l’autre du 20 septembre 2019, son attachement au maintien d’une audience réelle d’un gardé à vue ou d’un détenu devant un magistrat. Mais pour ce qui est de la détention provisoire, sa décision du 20 septembre 2019 permet tout de même la cohabitation des audiences par vidéo-conférence et des audiences physiques au détriment du nombre de ces dernières.
Cette dématérialisation n’est pas sans danger sur la qualité de la Justice et pour le respect des règles du procès équitable. La technologie doit être au service de l’humain. Elle doit être soumise à des principes éthiques et, en matière judiciaire, respecter les règles du procès équitable : «Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial…». Les rédacteurs de la Convention européenne des droits de l’Homme n’ont jamais envisagé qu’un robot puisse être un tribunal au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme (N° Lexbase : L7558AIR). Que décidera la Cour de Strasbourg lorsque lui sera soumise la question de la conformité à la Convention du juge-robot que met en place l’Estonie pour juger les délits «mineurs» ?
Dans une tribune intitulée «Justice numérique, Justice inique ?», parue dans Les cahiers de la Justice (éditions Dalloz) en juillet 2019 le professeur Emmanuel Jeuland s’interroge sur les risques que fait peser le développement des modes de résolution des litiges dématérialisés sur la qualité de la Justice et son accès.
Son interrogation est légitime.
Elle est d’autant plus préoccupante que le législateur ne cesse, sous prétexte de simplification, de rigidifier les procédures par des dispositions, actuelles ou envisagées, imposant par exemple la présentation de tous les moyens de droit dès les premières écritures judiciaires, la restriction des voies de recours, tant en appel par une complexité de la procédure, qu’en cassation par le projet de limiter les cas de pourvoi.
Nos gouvernants ayant fait le choix de ne pas augmenter les ressources humaines et matérielles de l’institution judiciaire de manière satisfaisante, ces réformes auront aussi pour effet de limiter le recours à la Justice étatique et de faire sortir autant que faire se peut la résolution des litiges des palais de justice. La promotion faite aux plateformes de médiation et d’arbitrage en ligne pour les «petits litiges» en est l’illustration criante.
Dès lors, comment corriger les inconvénients de cette dématérialisation des procédures, de cette mise à distance entre le justiciable et son juge par les outils numériques ?
L’une des solutions à nos yeux est de privilégier le dialogue entre les parties et leurs avocats d’une part et les juges ou les arbitres d’autre part. Que l’intelligence artificielle et les nouvelles technologies aident les gens de justice à préparer la mise en état des dossiers. Mais qu’elles ne remplacent pas le dialogue et les audiences où les acteurs du procès peuvent se parler et s’expliquer humainement.
L’heure n’est pas seulement aux gens de justice augmentés artificiellement par des algorithmes. Elle est aussi au développement de leur compétence relationnelle et à leur maîtrise, outre du droit, du dialogue et des outils de l’intelligence émotionnelle.