https://www.labase-lextenso.fr/gazette-du-palais/GPL220a7?em="matthieu boissavy"
La volonté des parties et la nature interne ou internationale d'un arbitrage
La volonté des parties et la nature interne ou internationale d'un arbitrage
Arbitrage, Tapie
Sur la décision de la cour d’appel de Paris ayant jugé recevable le recours en révision de l’arbitrage dit CDR c/ Tapie, le constat des fraudes a donné lieu à beaucoup de commentaires. Matthieu Boissavy analyse la question de la nature de cet arbitrage dont la cour a jugé qu’il était interne et non international.
CA Paris, P. 1, ch. 1, 17 févr. 2015, no 13/13278 Extrait de la décision de la cour d’appel (actuellement objet d’un pourvoi) ”(…) Sur l’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir tirées du défaut de pouvoir juridictionnel de la cour pour connaître du recours en révision des sentences arbitrales litigieuses. Considérant que les parties défenderesses opposent aux sociétés CDR, l’exception d’incompétence et la fin de non-recevoir tirées du défaut de pouvoir juridictionnel de cette cour pour connaître d’un recours en révision des sentences arbitrales litigieuses à raison du caractère international de l’arbitrage ; qu’elles font valoir que le contentieux arbitral concernait principalement l’affaire Adidas et qu’il portait sur des fautes commises par la SDBO (Société de banque occidentale) dans l’exécution d’un mandat de vente qui s’insérait dans une opération économique unique constituée du mandat et de la cession des parts sociales de BTF GmbH, que cette opération ne se dénouait pas en France dès lors que la société dont le capital était cédé, était allemande et que la vente obéissait aux règles de forme et de fond du droit allemand, et qu’en outre l’acquisition des parts sociales par des sociétés étrangères donnait lieu à des flux financiers transfrontaliers ; Considérant qu’aux termes de l’article 1492 du Code de procédure civile (CPC) : « Est international l’arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international » ; que pour être ainsi qualifié, le litige soumis à l’arbitre doit, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la qualification qu’elles lui ont donnée, de la loi applicable au fond ou à l’arbitrage, porter sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État, une telle opération devant réaliser un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnel à travers les frontières ; Considérant que les arbitres ont été saisis non pas en vertu d’une stipulation du mandat de vente des parts sociales de la société de droit allemand BTF GmbH laquelle n’est pas plus que son actionnaire principal BTF, partie à l’arbitrage, ni de la promesse d’achat ni du contrat de vente lui-même, mais en application d’un compromis conclu le 16 novembre 2007 entre, d’une part, le CDR et le CDR Créances, d’autre part, les liquidateurs du groupe B. Tapie, ainsi que M. et Mme Tapie, afin de résoudre de manière « globale et définitive » les contentieux opposant les parties devant diverses juridictions étatiques, à savoir : • l’action en responsabilité contre le Crédit lyonnais et la SDBO dans l’affaire Adidas pour violation de l’obligation de loyauté et violation de l’interdiction pour un mandataire de se porter contrepartie, • l’action en responsabilité contre le CDR et le CDR Créances pour soutien abusif et pour rupture abusive de crédits, • le rejet de la créance de la SDBO au titre du solde d’un prêt consenti à la SA Alain-Colas-Tahiti en raison de l’illicéité de la cause du prêt ; Considérant que ces différends portent sur le dénouement des multiples liens financiers tissés en France entre une banque française et ses clients français et sur les manquements allégués de la première à ses obligations à l’égard des seconds et que leur solution, quelle qu’elle soit, n’emportera pas de flux financier ou de transfert de valeurs au travers des frontières ; que leur arbitrage ne met donc pas en cause les intérêts du commerce international ; qu’il est, à cet égard, indifférent, d’une part que certaines des fautes imputées à la banque concernent son rôle dans la cession des actions détenues dans le capital d’une société étrangère par une société du groupe, d’ailleurs non partie à l’arbitrage, d’autre part, que dans la notification de la sentence, il ait été fait référence aux dispositions applicables en matière d’arbitrage international, la qualification de l’arbitrage ne dépendant pas de la volonté des parties ; qu’il s’ensuit l’arbitrage étant interne, que la voie de la révision est ouverte, conformément aux dispositions de l’article 1491 du Code de procédure civile dans sa rédaction applicable à la date de la sentence, devant la cour d’appel qui eût été compétente pour connaître des autres recours contre la sentence (…)”
CA Paris, P. 1, ch. 1, 17 févr. 2015, no 13/13278
Dans un arrêt du 17 février 2015, la cour d’appel de Paris1 a tranché la demande en révision de l’arbitrage CDR c/ Tapie d’une main si ferme et avec des attendus si tranchants que cet arrêt n’a donné lieu, à ce jour, à aucune critique sérieuse, d’un point de vue juridique en tout cas.
Certes, dès le lendemain du prononcé de l’arrêt, le 18 février 2015, le grand spécialiste du droit et de la pratique de l’arbitrage qu’est le journaliste Yves Thréard, dans un éditorial de « décryptage » du Figaro, proclamait que « les magistrats de l’ordre judiciaire » avaient porté par cet arrêt « un très mauvais coup à la justice arbitrale. » Selon cet auteur autorisé, ces magistrats auraient voulu ainsi manifester leur hostilité vis-à-vis de l’arbitrage en se réappropriant leur compétence pour juger le litige concerné.
Or, loin de manifester une quelconque hostilité vis-à-vis de l’arbitrage, par cet arrêt historique, la cour d’appel de Paris confirme au contraire que l’arbitrage est une vraie justice et, que, à ce titre, elle doit être protégée par la justice étatique, dernier recours légitime, de toute action qui viendrait la pervertir et la corrompre. Au lieu de porter un mauvais coup à l’arbitrage, cet arrêt le sauve, non seulement du déshonneur, mais encore de la crainte que pourraient en avoir ceux qui seraient tentés de penser que l’arbitrage, aussi autonome qu’il l’est en France et dans la plupart des pays, ne peut plus être protégé de ses dérives par aucune justice étatique. En sanctionnant des fraudes commises dans un arbitrage, principalement par l’un des arbitres et le conseil d’une des parties, par la rétractation de la sentence dans le cadre d’une action en révision, la cour renforce la confiance dans le lien de coopération et de soutien entre arbitrage et justice étatique et donc, en la confiance en l’arbitrage : nul ne peut plus l’ignorer compte tenu de l’impact de cet arrêt, un arbitrage frauduleux n’a pas sa place dans l’ordre juridique, en tout cas pas en France.
Le fait que l’affaire soit rejugée devant la cour et non pas devant un tribunal arbitral dépend du caractère interne ou international de l’arbitrage. S’il est interne, c’est la cour d’appel qui est compétente, en vertu de l’ancien article 1491 du Code de procédure civile (CPC) applicable en l’espèce, ce qu’avançaient les demandeurs. S’il est international, c’est le tribunal arbitral qui aurait été compétent pour juger de la fraude qui l’aurait trompé, ce que soutenaient avec acharnement les défendeurs. À noter d’ailleurs que si nous nous étions trouvés sous l’empire de l’actuel article 1502 du CPC, applicable en arbitrage interne depuis le décret du 13 janvier 2011, le recours en révision eût été porté dans tous les cas devant le tribunal arbitral, sauf si ce dernier n’avait pu être réuni. Ce n’est donc pas par volonté arbitraire de rejuger cette affaire que la cour se prononcera sur le fond avant la fin de cette année mais parce que la loi, au sens large, lui commande de le faire.
L’arrêt de la cour d’appel en quelques mots
La cour d’appel de Paris a jugé recevable le recours en révision de l’arbitrage dit CDR c/ Tapie.
Avant de constater que l’arbitrage avait bien été frauduleux, elle s’est reconnue compétente pour juger du recours en révision au motif que l’arbitrage était interne et que l’ancien article 1491 du Code de procédure civile lui attribuait compétence, en cas d’arbitrage interne. Pour déterminer si un arbitrage est interne ou international, il faut déterminer si le litige porte sur une opération qui se dénoue économiquement dans un seul État ou plusieurs, une telle opération devant réaliser un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnel à travers les frontières. Or, dans cette affaire, l’étendue du litige soumis aux arbitres a été limitée par le compromis d’arbitrage. Même si les parties ne peuvent pas imposer leur qualification sur la nature interne ou internationale d’un arbitrage, leur volonté, par le choix des questions litigieuses, a forcément une influence sur la détermination de la nature interne ou internationale d’un arbitrage. Ici, elles ont volontairement écarté les aspects internationaux du litige, ce que n’a pu que constater la cour d’appel, qui a donc logiquement retenu sa compétence.
L’arrêt du 17 février 2015 présente deux questions principales intéressantes : une question de procédure, à savoir la recevabilité du recours en révision devant la cour d’appel, laquelle dépend de la nature interne de l’arbitrage litigieux ; une question de fond, l’arbitrage a-t-il été frauduleux en l’espèce ? La seconde question étant purement factuelle et l’arrêt étant à ce sujet aussi descriptif qu’accablant, elle contraint le commentateur à la paraphrase. C’est donc seulement à la première question, plus juridique à laquelle s’attachera le présent commentaire. S’agissait-il d’un arbitrage interne ou international ? Il y sera répondu en rappelant les critères classiques de qualification entre les deux (I), le contenu exact du litige tel qu’il est défini dans le compromis d’arbitrage (II), et, ce qui semble avoir été oublié du débat devant la cour d’appel, la portée précise de l’autorité de la chose jugée des arrêts antérieurs (III) autant d’éléments qui limitaient le litige soumis aux arbitres et qui ont eu un effet sur la qualification de l’arbitrage.
I – Les critères classiques de qualification du caractère interne ou international du litige
Tout à leur souci d’éviter le jugement des magistrats de la cour d’appel, les défendeurs au recours en révision soutenaient donc qu’en dépit des références expresses et multiples au régime de l’arbitrage interne dans le compromis d’arbitrage en date du 16 novembre 2007, l’arbitrage devait être qualifié d’international et qu’en conséquence, par application de l’ancien article 1507 du CPC, tel qu’interprété par la jurisprudence2, seul le tribunal arbitral était compétent pour connaître du recours en révision.
Comme la qualification de la nature interne ou internationale de l’arbitrage est indépendante de la volonté des parties, la cour devait donc déterminer la nature de cet arbitrage. Au soutien de leur exception d’incompétence, les défendeurs au recours mettaient en avant les circonstances internationales de la vente de la société allemande Adidas entourant le litige principal entre eux (personnes morales et physiques françaises) et les entités du groupe Crédit lyonnais (personnes morales françaises) dont la responsabilité était mise en cause. En résumé, selon leur thèse, l’arbitrage était international car le litige concernant la mise en cause de la responsabilité des entités françaises de la banque à leur égard, même s’il n’impliquait lui-même aucun flux de biens, fonds, services, technologie ou personnel à travers les frontières, se rapportait à une opération économique qui s’était dénouée dans plusieurs États du fait qu’ils avaient confié en décembre 1992 à la banque le mandat de vendre des parts sociales d’une société de droit allemand (78 % de la société BTF GmbH qui détenait les actions de la société Adidas), que la banque avait recherché des acquéreurs dans plusieurs pays et que la cession des parts, soumise au droit allemand, avait été faite à plusieurs entités se trouvant dans des pays étrangers.
La cour d’appel n’a pas eu la même interprétation des faits, lesquels, il est important de le souligner devaient être considérés au prisme de l’étendue du compromis du 16 novembre 2007. Il nous semble donc que pour comprendre le cœur de cette question qui a soulevé tant de passions, il est nécessaire de se plonger dans les spécificités procédurales de ce litige homérique, spécificités qui n’ont pas manqué d’avoir une influence décisive sur la solution adoptée par la cour d’appel relative à la nature de cet arbitrage.
La cour rappelle de manière très claire l’état du droit sur la question de savoir quand un arbitrage est interne ou international. Elle cite l’ancien article 1492 du CPC (applicable au litige) et l’interprétation qu’en donne la jurisprudence dominante (laquelle n’a pas changé sous l’empire du nouvel article 1504 du CPC qui est rédigé en des termes identiques à ceux de l’ancien article 1492 du CPC) :
« Considérant qu’aux termes de l’article 1492 du Code de procédure civile : “Est international l’arbitrage qui met en cause les intérêts du commerce international” ; que pour être ainsi qualifié, le litige soumis à l’arbitre doit, indépendamment de la qualité ou de la nationalité des parties, de la qualification qu’elles lui ont donnée, de la loi applicable au fond ou à l’arbitrage, porter sur une opération qui ne se dénoue pas économiquement dans un seul État, une telle opération devant réaliser un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnel à travers les frontières » ;
De manière très classique, et dans le fil de la jurisprudence constante antérieure3, notamment celle de la Cour de cassation, la cour d’appel de Paris rappelle donc que pour déterminer si un arbitrage est interne ou international, il faut regarder l’économie de l’opération soumise à l’arbitrage. Si cette opération, envisagée de manière économique, c’est-à-dire la matière litigieuse dans ses aspects économiques, se dénoue dans plusieurs États, par l’effet d’un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnels à travers les frontières, l’arbitrage est international. Si cette matière litigieuse, encore une fois uniquement envisagée dans ses aspects économiques, ne concerne qu’un seul État par défaut d’un transfert de biens, de services, de fonds, de technologie ou de personnel à travers les frontières, l’arbitrage est interne.
Outre sa référence à l’aspect économique de la matière litigieuse soumise aux arbitres, la cour rappelle, expressément, que, selon la solution classique4, les aspects juridiques du litige ne sont pas pris en compte (ni la qualité ou la nationalité des parties, ni la loi applicable au fond ou à l’arbitrage, ni le lieu du siège, ni la qualification qu’elles ont donnés à l’arbitrage). La cour ajoute, implicitement dans l’énoncé de la règle applicable mais expressément lorsqu’elle applique la règle aux faits de l’espèce5, que les éléments d’extranéité, y compris économiques, relatifs à des opérations qui ne sont pas soumises au pouvoir juridictionnel de l’arbitre ne sont pas aussi pris en compte.
Sur ce point de droit, l’interprétation de la cour est conforme, tant à la jurisprudence antérieure, qu’à ce qu’on est en droit d’attendre de la nature interne ou internationale d’un arbitrage. Si la cour avait suivi l’interprétation des défendeurs au recours, à savoir que l’opération économique devait incorporer également les éléments d’extranéité qui, n’étant pas litigieux, n’étaient pas soumis au pouvoir juridictionnel des arbitres, cela aurait eu pour conséquence d’attraire dans le régime de l’arbitrage international toute une série de litiges qui n’y ont pas leur place. Cette interprétation extensive de l’ancien article 1492 ou de l’article 1504 du CPC n’est conforme ni à la lettre ni à l’esprit des textes6. Pour qu’un arbitrage soit international, il faut que les intérêts du commerce international soient mis en cause dans le litige soumis au pouvoir juridictionnel des arbitres et non que des éléments d’extranéité circonstanciels, non compris dans le litige, entourent celui-ci. C’est la même logique que l’on retrouve dans l’arrêt Di Sabatino précité. En d’autres termes, le fait qu’une opération économique, périphérique au litige, puisse être internationale ne rend pas international l’arbitrage dès lors qu’elle n’est pas entrée dans le champ de la question litigieuse que le tribunal arbitral doit trancher.
Il est ainsi primordial de s’en tenir au litige soumis aux arbitres, et de se cantonner à ses aspects économiques. La solution du problème résidait donc tout bonnement dans l’analyse des questions litigieuses dévolues au tribunal arbitral. En l’espèce, la cour suit ce raisonnement puisque, analysant les termes du compromis du 16 novembre 2007, elle conclut à la nature interne de l’arbitrage au vu de l’absence d’une opération économique impliquant un flux transfrontalier dans les litiges soumis au pouvoir juridictionnel des arbitres.
II – Le contenu du compromis d’arbitrage et la limitation de l’étendue du litige soumis aux arbitres
Comme la cour le rappelle, elle est saisie d’un recours en révision d’une sentence arbitrale rendue en application d’un compromis d’arbitrage et non pas d’une clause compromissoire. Aucune clause de ce type ne figurait d’ailleurs ni dans le contrat de mandat de vente ni dans le contrat de vente des parts sociales de la société BTF GmbH (qui détenait 78 % des actions de la société Adidas), société de droit allemand qui était détenue par la société française BTF. La cour s’en tient donc au compromis du 16 novembre 2007 et elle l’analyse.
En premier lieu, la cour s’intéresse aux parties signataires du compromis. Elle constate immédiatement que ni la société BTF GmbH, ni son associé principal la société française BTF, et donc venderesse des parts sociales BTG GmbH, ne sont parties au compromis d’arbitrage.
Et, en effet, le compromis d’arbitrage n’a pas été signé par ces sociétés. Le compromis n’a pas été signé par l’ensemble des parties en cause dans les procédures étatiques antérieures mais seulement par certaines d’entre elles. Les signataires du compromis du 16 novembre 2007 sont d’un côté :
- la société CDR Créances, venant aux droits et obligations de la SDBO, une filiale du Crédit lyonnais et la société CDR, venant aux droits et obligations de la société CDR Participations (anciennement dénommée Crédit lyonnais investissement (Clinvest)), une autre filiale du Crédit lyonnais et, de l’autre côté ;
- les liquidateurs SELAFA Mja et Me Didier Courtoux, ès-qualités de représentants des créanciers et liquidateurs, de Mme et M. Tapie, des sociétés Groupe Bernard Tapie, Alan-Colas-Tahiti, Financière Immobilière Bernard Tapie et Bernard Tapie gestion, ainsi que les époux Tapie.
Si l’on compare ces parties avec celles qui se trouvaient demanderesses ou défenderesses devant les juridictions étatiques avant l’arbitrage, on ne peut que constater que certaines d’entre elles ne sont pas parties à l’arbitrage. Notamment, dans la procédure concernant le litige principal, à savoir la mise en cause de la responsabilité de plusieurs entités du groupe Crédit lyonnais par les liquidateurs du groupe Tapie et les époux Tapie qui avait donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 septembre 2005 condamnant le Crédit lyonnais et CDR Créances (SDBO) à payer 135 000 000 € aux liquidateurs du groupe Tapie, la procédure concernait plusieurs entités qui n’ont pas participé à l’arbitrage : non seulement la société Crédit lyonnais et la société Compagnie européenne de distribution et de pesage (anciennement dénommée Bernard tapie finance société venderesse des parts de la société allemande BTF GmbH) mais encore toutes les autres sociétés (à part Clinvest dont CDR vient aux droits et qui est partie à l’arbitrage) qui ont acquis le 12 février 1993 les parts sociales de la société BTF GmbH Adidas : la société Ricesa (société de droit luxembourgeois de Robert-Louis Dreyfus), la société Omega ventures limited (société de droit de Jersey), la société Coatbridge holding limited (société de droit des îles Britanniques), la société Matinvest, la société EFC, la société AGF holding (venant aux droits de la société Métropole) et la société Banque AGF (venant aux droits de la société Phénix).
De ce constat, on ne peut que relever qu’aucune des sociétés étrangères ayant acquis le 12 février 1993 les parts sociales de la société BTF GmbH (les sociétés Ricesa, Omega ventures limited et Coatbridge holding limited) n’étaient parties à l’arbitrage. La seule société qui était partie à l’arbitrage et qui avait acquis des parts sociales de la société BTF GmbH (en l’espèce 9,9 % qui s’ajoutait au 10 % que cette société détenait déjà avant février 1993) était la société Clinvest, société française filiale du Crédit lyonnais, et aux droits de laquelle venait la société Consortium de réalisation.
Le fait que Clinvest, partie à l’arbitrage, ait acquis des parts sociales de la société de droit allemand BTF GmbH le 12 février 1993 suffisait-il à qualifier l’arbitrage d’international ? Si le litige soumis aux arbitres avait porté sur la formation ou l’exécution de ce contrat de cession de parts, la question aurait pu sérieusement se poser. Mais tel n’était pas le cas. Mieux : aucune des personnes du Groupe Bernard Tapie parties à l’arbitrage n’était partie au contrat de cession de ces parts. En outre, et surtout, aucune demande formulée dans le cadre de l’arbitrage ne portait sur la formation ou l’exécution de ce contrat de cession de parts.
En second lieu, la cour se penche donc sur les questions litigieuses soumises aux arbitres. Pour ce faire, elle analyse chacun des litiges qui ont été soumis au tribunal arbitral pour savoir si l’un d’entre eux ne comportait pas un élément économique d’extranéité qui était de nature à qualifier l’arbitrage d’international. Le compromis du 16 novembre 2007 indique « que les parties conviennent de soumettre au tribunal arbitral l’ensemble des demandes formulées dans les Contentieux à l’exclusion de toutes autres, dans la limite de l’ordre public et de leur caractère arbitrable, chacune des parties restant libre de ses moyens de fait ou de droit. »
Les « Contentieux » sont listés au point 1.6 dans l’article 1er « Définitions » du compromis. Ils sont au nombre de 9 : 1.6.0. Constitution de partie civile ; 1.6.1. Contentieux ACT (Alain-Colas-Tahiti) ; 1.6.2. Contentieux Adidas (le contentieux principal, celui relatif à la responsabilité des entités du groupe Crédit lyonnais qui avait donné lieu à l’arrêt de la cour d’appel du 30 septembre 2005 et à l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006) ; 1.6.3. Contentieux liquidation abusive ; 1.6.4. Contentieux révision ordonnance d’attribution ; 1.6.5. Contentieux rétractation ordonnance d’attribution ; 1.6.6. Contentieux rétractation des liquidations ; 1.6.7. Contentieux rétractation des procédures collectives ; 1.6.8. Contentieux soutien abusif et rupture abusive.
Au cours de la procédure arbitrale, il fut constaté que certaines des litiges n’étaient pas arbitrables. Les questions litigieuses soumises aux arbitres, telles qu’elles ressortaient des demandes préalables formées dans les Contentieux devant les juridictions étatiques, concernaient finalement trois contentieux :
- l’action en la responsabilité de CDR Créances (SDBO) et de CDR (Clinvest) vis-à-vis du Groupe Tapie par rapport à l’exécution d’un mandat (contentieux Adidas), action qui reposait sur deux griefs formulés en dernier lieu devant la cour d’appel de Paris : violation de l’obligation de loyauté du mandataire et violation de l’interdiction pour un mandataire de se porter contrepartie ;
- l’action en responsabilité contre le CDR Créances et le CDR (Clinvest) pour soutien abusif et pour rupture abusive de crédits ;
- le rejet de la créance de la SDBO au titre du solde d’un prêt consenti à la SA Alain-Colas-Tahiti en raison de l’illicéité de la cause du prêt.
Fort logiquement, la cour d’appel de Paris a donc analysé les demandes présentées dans chacun de ces contentieux. Et elle en déduit que dans aucun d’entre eux ne se trouve une opération économique soumise aux arbitres et qui se dénouerait dans plusieurs États par un transfert de biens, services, fonds, technologies ou personnel à travers les frontières.
Comme le relève la cour dans son arrêt du 17 février 2015 : « Ces différends [soumis au pouvoir juridictionnel des arbitres] portent sur le dénouement des multiples liens financiers tissés en France entre une banque française et ses clients français et sur les manquements allégués de la première à ses obligations à l’égard des seconds et que leur solution, quelle qu’elle soit, n’emportera pas de flux financier ou de transfert de valeurs au travers des frontières ; (…) Qu’il est, à cet égard, indifférent, d’une part que certaines des fautes imputées à la banque concernent son rôle dans la cession des actions détenues dans le capital d’une société étrangère par une société du groupe, d’ailleurs non partie à l’arbitrage, d’autre part, que dans la notification de la sentence, il ait été fait référence aux dispositions applicables en matière d’arbitrage international, la qualification de l’arbitrage ne dépendant pas de la volonté des parties. »
La première proposition de la dernière phrase de la cour confirme bien que seules sont prises en compte, pour apprécier la nature d’un arbitrage, les questions litigieuses soumises au pouvoir juridictionnel des arbitres. Si celles-ci ne mettent pas en cause les intérêts du commerce international car n’impliquant pas une opération économique qui se dénoue dans plusieurs États, l’arbitrage est bien interne. Le raisonnement de la cour est limpide en ce qu’elle applique les critères classiques pour constater que, ici, l’arbitrage est interne.
En ce qui concerne plus spécifiquement la société Consortium de réalisation (ex Clinvest), les demandes formulées à son encontre telles qu’elles avaient été formulées dans le compromis d’arbitrage, étaient celles qui avaient été présentées en dernier lieu devant la cour d’appel de Paris qui s’était prononcée le 30 septembre 2005. Et ces demandes ne portaient que sur la responsabilité des sociétés Crédit lyonnais, CRD Créances (SDBO) et CDR (Clinvest) dans leurs relations avec le Groupe Tapie par rapport au mandat donné le 16 décembre 1992 par la société BTF à la société SBDO de vendre les parts sociales de BTF GmbH. Ces demandes ne portaient que sur les prétentions de violation d’obligation de loyauté pesant sur le mandataire et de non-respect de l’obligation pour un mandataire de ne pas se porter contrepartie. Elles ne remettaient pas en cause la question de l’acquisition par cette société des parts sociales de BTF GmbH, et donc ne relevaient pas d’une opération économique internationale. Le fait que cette acquisition ait porté sur des parts sociales d’une société étrangère était indifférent à la question de savoir si l’arbitrage était interne ou international.
L’analyse du compromis d’arbitrage était donc primordiale pour résoudre la question de la nature de l’arbitrage. Surtout que le compromis comporte une disposition, qui n’a pas l’air d’avoir été perçu ni par les parties ni par la cour lors des débats, et qui pourtant renforce encore la solution adoptée par la cour.
III –L’autorité de chose jugée des arrêts antérieurs confirmée par la volonté des parties dans le compromis et son effet sur la nature de l’arbitrage
Il semble avoir été oublié du débat contentieux un élément majeur du litige : selon l’article 1er du compromis d’arbitrage les arbitres étaient tenus de respecter les effets de l’arrêt rendu par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 9 octobre 2006 qui avait partiellement cassé l’arrêt d’appel ayant octroyé une indemnisation de 135 millions d’euros à Bernard Tapie7. Cette disposition, qui limite également l’étendue des questions litigieuses soumises aux arbitres, a eu aussi un effet sur la qualification de l’arbitrage en raison de la nature des décisions définitives antérieures.
Le compromis précise en effet que le droit applicable sera le droit français et que les arbitres statueront en droit tout en étant tenu de respecter les décisions définitives : le second paragraphe de l’article 7.1 du compromis précise : « le tribunal statuera en droit. À ce titre, les parties rappellent que le tribunal arbitral sera tenu par l’autorité de la chose jugée des décisions définitives rendues dans les contentieux notamment l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006 et les attendus définitifs de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 septembre 2005, étant expressément rappelé et précisé que concernant les décisions rendues en première instance, et qui ont fait l’objet d’une procédure d’appel dont les instances sont en sursis à statuer, elles ne sauraient être considérées comme revêtues d’une quelconque autorité de la chose jugée. »
Or, la Cour de cassation avait cassé et annulé l’arrêt de la cour d’appel mais seulement du chef des condamnations prononcées contre le CDR Créances et le Crédit lyonnais, et avait remis sur ce point la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant l’arrêt, et pour être fait droit, les avait renvoyées devant la cour d’appel de Paris, autrement composée.
Quelle conséquence peut-on en tirer ? En réalité l’étendue de cette cassation partielle emporte une conséquence majeure par rapport à l’article 7.1 du compromis, qui impose le respect de l’autorité de la chose jugée de « l’arrêt de la Cour de cassation du 9 octobre 2006 et [des] attendus définitifs de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 30 septembre 2005 ? » Cette phrase signifie donc que les arbitres ne peuvent remettre en cause les solutions données par la cour d’appel qui n’ont pas été cassées par la Cour de cassation, pour la raison simple qu’elles sont devenues définitives. La Cour de cassation n’a cassé que les dispositions de l’arrêt qui condamnent le Crédit lyonnais et le CDR Créances (ex-SDBO) à payer à la SELAFA Mja, représentée par Me Jean-Claude Pierrel et à Me Didier Courtoux, ès-qualités, la somme de 135 000 000 €. Le reste est devenu définitif. Il s’agit des dispositions suivantes :
- le rejet des débats des pièces communiquées sous les nos 66, 75 et 76 par Mes Pierrel et Courtoux ès-qualités ;
- la mise hors de cause des sociétés Ricesa, Omega, Ventures limited, Coatbridge et Matinvest ;
- la recevabilité de l’action engagée par la SELAFA Mja et Me Courtoux en qualité de mandataire liquidateur de la SNC GBT, La SA ACT, la SCN FIBT, la SA BTG et de M. et Mme Bernard Tapie ;
- la recevabilité de l’intervention accessoire de M. et Mme Bernard Tapie ;
- l’irrecevabilité de l’action engagée par le mandataire ad hoc de la Compagnie européenne de distribution et de pesage ;
- le débouté des parties de toutes leurs autres demandes.
Ces éléments du litige sont donc définitivement passés en force de chose jugée et ne peuvent être remis en cause. Parmi ces éléments, il y a aussi des éléments qui pourraient exercer une influence sur la nature de l’arbitrage, et qui s’imposent donc au tribunal arbitral. Il s’agit de :
- la mise hors de cause de toutes les sociétés étrangères (Ricesa, Omega ventures limited, et Coatbridge) ayant participé à l’achat des parts sociales de BTF GmbH ;
- la mise hors de cause des sociétés françaises ayant participé à l’achat des parts sociales de BTF GmbH : la société Matinvest et la société CDR (ex-Clinvest).
Et pour ce qui est de CDR (Clinvest), la solution va encore plus loin : contrairement au Crédit lyonnais et à la société CDR Créances (ex-SDBO), le CDR (Clinvest) n’a pas été condamné par la cour d’appel. Et cette absence de condamnation, qui n’a pas été cassée par la Cour de cassation, est définitive. On voit mal comment le Consortium de réalisation, même partie à l’arbitrage, peut faire l’objet d’une condamnation par le tribunal arbitral ou demain par la cour d’appel de Paris puisque celle-ci est saisie dans les limites du compromis d’arbitrage. Comme le tribunal arbitral, la cour est tenue par les éléments de l’arrêt du 30 septembre 2005 devenus définitifs, et notamment ceux sur la mise hors de cause et l’absence de condamnation de CDR (Clinvest).
En conséquence, toutes les entités (étrangères ou françaises) qui ont acquis les parts sociales de la société BTF GmbH ont été définitivement mises hors de cause et leur responsabilité ne peut plus être engagée. Elles ne sont plus dans le litige. Il n’y a donc vraiment rien d’international dans ce litige.
La force de chose jugée qui s’attache à ces mises hors de cause renforce donc la qualification donnée par la cour d’appel de Paris : l’arbitrage CDR c/ Tapie est bien de nature interne.
On voit ici que ce compromis d’arbitrage peut encore réserver bien des surprises pour la résolution de ce litige. Surtout que toutes ses dispositions demeurent applicables et devront être respectées par les juridictions étatiques ultérieures, notamment la « jonction » de toutes les procédures qu’il prévoyait de même que les plafonds d’indemnisation « consentis » par les liquidateurs du Groupe Tapie.
En tout état de cause, si la nature d’un arbitrage n’est pas supplétive et ne peut être décidée par un accord des parties sur sa qualification, que le juge d’un recours contre une sentence reste libre de qualifier l’arbitrage d’interne ou d’international en dépit de la qualification donnée par les parties, la volonté des parties, dans la détermination de l’objet de leur litige, peut avoir un effet décisif sur cette qualification. Lorsque la situation globale comprend des éléments économiques internationaux, les parties en sélectionnant les questions litigieuses à soumettre aux arbitres, et en les réduisant dans le compromis d’arbitrage aux questions internes, ont forcément fixé la nature interne de leur arbitrage. Il était donc impossible ensuite de prétendre le contraire, afin d’éviter la révision, dont la seule lecture de l’arrêt commenté montre qu’elle était nécessaire, ô combien !
Notes de bas de page
D. 2015, p. 439 ; JCP 2015, 289, note S. Bollée ; Économie matin 9 mars 2015, obs. D. Mouralis ; D. 2015, p. 425, édito T. Clay ; Dalloz actualité, 20 févr. 2015, obs. X. Delpech ; D. 2015, p. 439 ; Procédures 2015, étude n° 4, L. Weiller. L’auteur tient à révéler qu’il a eu à connaître de cette affaire dans un dossier périphérique et de fait s’y est intéressé, puisqu’il a été l’avocat du professeur T. Clay, lorsqu’il fut cité en diffamation en 2011 par M. B. Tapie. Reprochant au professeur T. Clay d’avoir déclaré qu’il s’agissait d’un « arbitrage illégal et peut-être frauduleux. » M. Tapie avait engagé une procédure en diffamation puis s’était finalement désisté de son action. Les débats, bien qu’ils n’aient porté que sur la nature abusive de cette procédure en diffamation, ont permis à l’auteur, par la lecture des documents publics ou publiés dans la presse, de se faire son opinion sur la question de la nature de cet arbitrage.
Cass. 1re civ., 25 mai 1992, n° 90-18210, Sté Fougerolle : Bull. civ. I, n° 149 ; Rev. arb. 1993, p. 91 et obs. M. de Boisséson, p. 3 ; JDI 1992, p. 974, note E. Loquin ; Rev. crit. DIP 1992, p. 699, note B. Oppetit ; RTD civ. 1993, p. 201, obs. R. Perrot ; Yearb. Comm. Arb. 1994, p. 205.
CA Paris, 14 juin 2001 : Rev. arb. 2001, p. 773, note C. Seraglini et p. 805, obs. Y. Derains – Cass. 1re civ., 3 juin 2003, n° 01-16867 : JCP 2004, I, 119, spéc. n° 5, obs. J. Ortscheidt – CA Paris, 5 mars 2013 : Rev. arb. 2013, p. 528 – Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25266, Sté Saica : Bull. civ. I, n° 222 ; Rev. arb. 2014, p. 383, note D. Bureau ; JCP 2013, 1391, spéc. n° 2, obs. C. Seraglini ; JCP 2013, 256, spéc. n° 10, obs. C. Nourissat ; D. 2013, p. 2785, obs. X. Delpech ; RTD civ. 2014, p. 107, obs. H. Barbier ; Procédures 2014, comm. n° 49, note L. Weiller ; JCP 2014, 57, note B. Le Bars ; Gaz. Pal. 8 mars 2014, p. 13, n° I69s0, obs. D. Bensaude – CA Paris 7 oct. 2014, nos 13/05894 et 13/09282, Di Sabatino : D. 2014, p. 2554, obs. T. Clay ; Gaz. Pal. 22 nov. 2014, p. 20, n° 201c6, obs. D. Bensaude.
En dernier lieu : CA Paris 7 oct. 2014, Di Sabatino, préc.
« Qu’il est, à cet égard, indifférent, d’une part que certaines des fautes imputées à la banque concernent son rôle dans la cession des actions détenues dans le capital d’une société étrangère par une société du groupe, d’ailleurs non partie à l’arbitrage (…). »
Dans le même sens, note S. Bollée, « L’accueil du recours en révision formé contre la sentence Tapie », sous CA Paris, 17 févr. 2015, CDR c/ Tapie : JCP 2015, 289.
CA Paris, 30 sept. 2005 et 28 avr. 2006, n° 96/12548.