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La protection du secret professionnel de l’avocat dans les communications internes à l’entrepriseRéf. : Cass. crim., 26 janvier 2022, n° 17-87.359, F-D,
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par Matthieu Boissavy, Avocat aux barreaux de Paris et de New York, Vice-président de la commission Libertés et droits de l’Homme du Conseil national des barreaux
le 03 Mars 2022
Mots-clés : jurisprudence • avocat • perquisition • confidentialité • correspondances • Bâtonnier
Le pouvoir, reconnu aux agents de l'Autorité de la concurrence par l'article L. 450-4 du Code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense, qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l'exercice des droits de la défense.
Par un arrêt du 26 janvier 2022, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a admis que la protection du secret des confidences entre un avocat et son client, dès lors qu’elles relevaient de l’exercice des droits de la défense, ne s’arrêtait pas à l’interdiction de la saisie des supports matériels ou numériques fixant les correspondances entre eux mais s’étendait également à celle du contenu de ces correspondances qui serait repris dans d’autres documents ou correspondances par le client et ses salariés.
Dans le cadre d’un contentieux sur la validité de la saisie de documents internes à une entreprise opérée par des agents de l’Autorité de la concurrence (ADLC) sur le fondement de l’article L. 450-4 du Code de commerce, la Cour de cassation rappelle que ce pouvoir de saisie « trouve sa limite dans le principe de la libre défense, qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l’exercice des droits de la défense ».
Après avoir constaté que le premier président de la cour d’appel de Paris, qui avait annulé la saisie de certains documents internes à l’entreprise, avait apprécié d’une part que ces documents n’émanaient pas ou n’étaient pas adressés à un avocat mais reprenaient « une stratégie de défense mise en place » par l’avocat ou qu’ils se référaient à un avis de l’avocat sur des opérations de visites et de saisies (OVS), notamment à des pratiques prohibées en droit de la concurrence et que, d’autre part, les analyses et les conseils de l’avocat qui étaient repris dans ces documents étaient « destinés à analyser les pratiques » du client « afin de corriger d’éventuels errements volontaires ou involontaires et à préparer la défense » du client « dans l’hypothèse d’une future visite inopinée de l’Autorité de la concurrence », la Cour de cassation admet que l’annulation de la saisie était justifiée : « en l’état de ces énonciations, le premier président, qui, par une appréciation qui relève de son pouvoir souverain, a constaté que les données confidentielles couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat, et contenues dans les documents saisis, en constituaient l’objet essentiel, a justifié sa décision ».
Pour mieux apprécier cette décision, dont on ne peut qu’approuver les termes, il convient de se reporter à l’ordonnance du 8 novembre 2017 du premier président de la cour d’appel de Paris qui détaille les faits de cette affaire et notamment les documents dont la saisie était contestée (CA Paris, 8 novembre 2017, n° 14/13384 N° Lexbase : A0252WYY). Dans le cadre d’une enquête de l’autorité de la concurrence (ADLC) dans le secteur de la distribution de produits électroménagers, le juge des libertés et de la détention de Bobigny avait autorisé en octobre 2013 des opérations de visites et saisies dans plusieurs entreprises.
L’une des entreprises du secteur, qui n’était pas concernée par ces opérations d’OVS d’octobre 2013 mais qui pouvait craindre une visite ultérieure, avait consulté son avocat pour mieux appréhender les risques pesant sur elle. Cet avocat avait analysé la situation, notamment en procédant à une analyse des documents de l’entreprise et à une sorte d’enquête interne par des entretiens avec les employés. Il avait remis à sa cliente les résultats de son analyse ainsi qu’une consultation incluant des recommandations. Ces documents présentaient une stratégie de défense afin de préparer l’entreprise en cas de visite de l’ADLC et de mise en cause.
En mai 2014, le juge des libertés et de la détention de Paris autorisait l’ADLC à pratiquer de nouvelles opérations de visites et de saisies qui visaient cette fois-ci l’entreprise en question. Dans le cadre de ces opérations, les enquêteurs de l’ADLC saisissaient des correspondances et documents internes à l’entreprise.
Ils saisissaient notamment un courriel d’un juriste de l’entreprise adressé à un responsable juridique europe du groupe auquel appartient l’entreprise, courriel qui résumait le contenu de l’analyse de l’avocat, ainsi qu’un courriel entre la directrice juridique d’une société du groupe au président de l’entreprise, courriel qui transférait un courriel du premier juriste reprenant les conclusions du rapport d’analyse de l’avocat, y compris ses constatations, son analyse juridique et ses recommandations.
L’entreprise avait contesté cette saisie devant le premier président de la cour d’appel de Paris et soutenait que ces courriels étaient protégés par le secret professionnel de l’avocat tel que prévu par l’article 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 N° Lexbase : L6343AGZ. Outre cette disposition législative française elle s’appuyait sur la jurisprudence européenne, spécialement sur l’arrêt « Vinci Construction » de la cour européenne des droits de l’Homme du 2 avril 2015. Dans cet arrêt, la CEDH a jugé qu’il appartient au juge de la contestation des saisies de faire le tri entre ce qui est protégé ou ce qui ne l’est pas et d’ordonner la restitution des documents et courriels sans liens avec l’enquête, relevant de la vie privée, du secret des affaires ou couverts par le secret des correspondances entre client et avocat (CEDH, 2 avril 2015, Req. 63629/10 N° Lexbase : A8726NEW).
Sa position était soutenue par l’Ordre des avocats de Paris ainsi que par l’Association française des juristes d’entreprises (AFJE), tous les deux intervenants volontaires à la procédure. Sur ce dernier point, l’action de l’Ordre des avocats de Paris a été jugé recevable mais, malheureusement, pas celle de l’AFJE, au motif que cette association n’avait pas pour mission la protection des intérêts collectifs de la profession d’avocat. À notre avis, un autre moyen aurait pu permettre au premier président de juger recevable l’action de cette association dont les membres sont les premiers interlocuteurs des avocats au sein des entreprises. Le secret professionnel de l’avocat ne protège pas l’avocat mais son client. La saisie d’un courriel d’un juriste d’entreprise, porteur des confidences de l’avocat, était, à notre avis, une atteinte aux intérêts de la profession de juriste d’entreprise.
L’ADLC soutenait que la saisie de ces documents était valable, car elle n’avait porté que sur les messageries électroniques professionnelles mises à la disposition de ses salariés par l’entreprise ; que « des correspondances entre membres de l’entreprise se faisant l’écho, plus ou moins fidèle, de consultations juridiques, des correspondances qui ne concernent pas les droits de la défense du client » peuvent être saisies et que les documents rédigés par les juristes d’entreprises ne bénéficient pas de protection particulière.
Le ministère public appuyait les prétentions de l’ADLC et concluait que la violation du secret des correspondances entre avocat et client n’était pas établie dans la mesure où les messageries avaient été saisies « par copie, de manière globale et insécable suivant les exigences de la Cour de cassation » et qu’en l’espèce il n’était à « aucun moment démontré que les correspondances échangées dans le cadre et aux fins du droit de la défense et émanant d’avocats indépendants, c’est-à-dire non liées au client par un rapport de subordination aient été saisies ».
Après avoir analysé in concreto le contenu des documents litigieux le premier président de la cour d’appel procédait à l’annulation de leur saisie au motif que « bien que ces pièces n’émanent ou ne sont pas adressées à un avocat, elles reprennent une stratégie de défense mise en place (l’avocat ayant étudié la possibilité de recourir au statut de demandeur à la clémence pour l’exclure ensuite) par le cabinet [d’avocat] et [que leur saisie] porte ainsi aux droits de la défense ».
L’entreprise avait demandé l’annulation de toute l’opération de visite et de saisie. Toutefois, le juge du fond s’y refusait, estimant que l’annulation des seules pièces bénéficiant de la protection prévue par l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 suffisait « à rétablir l’entreprise dans ses droits, car elle offre à la requérante une double garantie tenant à l’élimination physique des documents protégés contenus dans les fichiers placés sous scellés en sus du caractère inutilisable de toute copie détenue, prononcé par le juge ».
Ces décisions, tant celle du premier président de la cour d’appel de Paris du 8 novembre 2017 que celle de la Cour de cassation du 26 janvier 2022, ont le mérite de confirmer que les confidences entre un avocat et son client dans le cadre de l’exercice des droits de la défense, reprises et diffusées entre les salariés du client, ou même entre salariés d’entreprises d’un groupe auquel appartient le client, sont protégés par le secret professionnel de l’avocat.
Ces décisions sont aussi intéressantes, car l’exercice des droits de la défense est apprécié plus largement que dans l’hypothèse où le client de l’avocat est déjà partie à une procédure.
Dans cette affaire, la consultation de l’avocat, qui reprenait le résultat d’un audit qu’il avait réalisé au sein de l’entreprise, notamment par des entretiens avec des salariés, et qui incluait des recommandations à suivre, avait été réalisée avant que l’entreprise ne soit partie à une procédure, avant même qu’elle ne soit l’objet de l’opération de visite et de saisie par l’ADLC.
On peut en déduire que la consultation avait été donnée en prévision d’un contentieux éventuel à venir.
Cette consultation était donc rattachable à l’activité de conseil de l’avocat et non à l’activité de défense stricto sensu lorsque le client de l’avocat est partie à une procédure. Ces décisions admettent donc qu’une certaine activité de conseil de l’avocat est rattachable à l’exercice des droits de la défense et que le secret qui couvre les consultations et les correspondances entre l’avocat et son client dans ce cadre est opposable aux autorités de poursuite et d’enquête.
En l’espèce le contentieux à venir entre l’entreprise et l’ADLC était fort probable compte tenu des autres opérations de visites et de saisies qui avaient été réalisées préalablement dans d’autres entreprises du secteur. Toutefois, il est permis de penser que le même raisonnement pourrait être appliqué dans l’hypothèse où la consultation serait demandée à l’avocat par un client sans qu’aucune enquête d’une autorité de poursuite ne soit encore engagée.
La protection de ce type de consultation est d’autant plus bienvenue que l’avocat doit conseiller à son client de changer des pratiques qu’il jugerait à risques ou de lancer des actions de mise en conformité. Il est évident que cette consultation est vertueuse et que le client doit pouvoir en bénéficier sans craindre qu’elle ne soit saisie ultérieurement par une autorité de poursuite et d’enquête, car elle contiendrait des éléments incriminants pour le client.
Toutefois, cette jurisprudence ne concerne pas l’activité de conseil à propos de l’activité juridique qui ne serait pas en lien avec un contentieux envisagé ou prévisible. La consécration par la jurisprudence de la protection du secret des confidences entre un avocat et son client dans ce type d’activité est encore attendue par la profession d’avocat qui la revendique dans tous les cas, sauf l’hypothèse de la participation de l’avocat à une infraction.
Par ailleurs, l’arrêt du 22 janvier 2022 de la Cour de cassation fait référence à une notion « d’objet essentiel » des communications internes à l’entreprise qui contiendraient « les données confidentielles couvertes par le secret des correspondances échangées avec un avocat ». Cette notion pourrait laisser entendre que pour être protégée la communication interne peut ne pas porter exclusivement sur l’avis de l’avocat mais qu’elle devrait porter principalement sur cet avis. Or, il est possible qu’une communication interne à l’entreprise inclue une partie de l’avis de l’avocat sans en constituer l’objet essentiel. Il faudra veiller à ce que toute reprise de la consultation d’un avocat, y compris partielle, est protégée même si cette reprise ne constitue pas l’objet essentiel de la communication.
L’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 26 janvier 2022 doit être salué comme celui qui avait été rendu le 20 janvier 2021 par lequel elle avait précisé que la protection du secret professionnel de l’avocat s’étend à toutes les correspondances entre l’avocat et son client liées à l’exercice des droits de la défense même si elles ne sont pas liées à l’enquête de concurrence objet de l’opération (Cass. crim., 20 janvier 2021, n° 19-84.292, F-D N° Lexbase : A25014ED).
Cette jurisprudence trouvera matière à s’appliquer y compris dans le cadre des perquisitions pénales avec l’application du nouvel article 56-1-1 du Code de procédure pénale N° Lexbase : L1315MAX né de la loi « Confiance dans l’institution judiciaire » du 22 décembre 2021 N° Lexbase : Z459821T et qui est entré en vigueur depuis le 1er mars 2022. Avec ce nouvel article toute personne perquisitionnée à son domicile ou dans les locaux de son entreprise peut s’opposer à la saisie d’un document couvert par le secret professionnel de l’avocat. Il est permis au client de contester la saisie de tels documents et cette contestation sera tranchée par le juge des libertés et de la détention. Avec l’arrêt de la Cour de cassation du 26 janvier 2022, la personne perquisitionnée pourra donc contester la saisie de documents personnels ou internes à l’entreprise qui contiendraient le contenu d’une correspondance avec son avocat ou une consultation de celui-ci et qui seraient en lien avec l’exercice de ses droits de la défense.
Toutefois, on ne peut que regretter qu’en matière pénale la personne perquisitionnée ne puisse pas encore bénéficier de l’assistance de son avocat pendant la perquisition. Cette assistance serait certainement très utile afin d’aider le client à contester la saisie de documents couverts par le secret. Il y a là une différence flagrante de régime avec celui des opérations de visite et de saisie dans le cadre de l’article L.450-4 du Code de commerce N° Lexbase : L6272L43 où l’entreprise perquisitionnée peut contacter et demander l’assistance de son avocat dès la notification de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant l’opération. La Chambre criminelle de la Cour de cassation protège d’ailleurs très bien ce droit comme en témoigne l’arrêt du 4 mai 2017 qui a annulé toute une opération de visite et de saisie des agents de la concurrence au motif que « les droits de la défense peuvent être exercés par l’occupant des lieux dès la notification de l’ordonnance autorisant les opérations de visite et de saisie » et que l’interdiction faite par les enquêteurs à l’occupant des lieux de communiquer avec son avocat tant que l’ensemble des bureaux ne serait pas scellé manifestait une violation des droits de la défense entraînant l’annulation de toute l’opération (Cass. crim., 4 mai 2017, n° 16-81.071, FS-D N° Lexbase : A9365WBH).
On peut se demander si une sanction aussi radicale et efficace n’aurait pas dû être aussi appliquée dans le contentieux ayant donné lieu à l’arrêt du 26 janvier 2022 dans la mesure où, même si l’annulation de la saisie des documents couverts par le secret a été prononcée, les agents de l’autorité de la concurrence ont pu en prendre connaissance et donc connaissent aujourd’hui la stratégie de défense de l’entreprise ainsi que des éléments auto-incriminants que l’entreprise ne souhaitait pas forcément leur révéler.